Écrire une pièce sur la rencontre entre une femme en fauteuil roulant et une autre travestie était une entreprise risquée. Avec de tels sujets, les bons sentiments, les trémolos suspects ne sont jamais loin. Sans parler du danger de la caricature. Est-ce que nous avons réussi à éviter ce genre d’embûches ? Sincèrement, je le crois.
Le Banc est le fruit de ma rencontre avec le mouvement Queer. Une rencontre, un choc plutôt auquel je ne m’attendais pas. La pensée Queer dépasse largement la question du sexe, elle revendique le droit d’être multiple. Nous ne sommes pas ceci ou cela, nous sommes une addition d’histoires, de faits, de désirs aboutissant à un individu radicalement singulier : soi.
Les personnes porteuses de handicap – dont je suis – souffrent d’un étiquetage sans appel : elles auront beau faire, elles seront d’abord perçues comme défaillantes… Le mouvement Queer m’a permis de faire bouger mes propres lignes. J’ai découvert que l’on avait le droit d’être kaléidoscopique. Être féminine, glamour pourquoi pas, ne constituait donc plus une sorte d’atypisme dans le paysage de la déficience mais devenait l’expression de ma seule singularité. Toutes les comparaisons volaient en éclat : j’étais moi, juste moi et je rêvais que toutes les autres femmes en fauteuil vivent cette libération.
Le Banc est donc le fruit d’un processus personnel, ce dont je ne me suis d’ailleurs rendu compte qu’après avoir terminé le travail d’écriture. Le « contrat social » est un carcan illusoire : on peut être tout ce que l’on décide d’être. Je voulais écrire une pièce qui donne cette monumentale permission.
La femme en fauteuil est d’abord éteinte, aussi bleue marine dedans que dehors. Et voici qu’elle croise ce « trav » haut en couleurs dont la liberté de ton la trouble, l’offusque. Sans y paraître, le quai de gare se transforme en alcôve. On y fait les filles. Paillettes, rouge à lèvres… Peu à peu, tous ces gestes superficiels en apparence, révèlent qui l’on est vraiment.
Il n’y a plus de quai, plus de train, reste une intimité seulement et qui n’est pas sans heurts. La Dame Grenat, perruque blonde et talons qui claquent, n’a pas une once de compassion. A force de refuser la pitié, elle peut même griffer. C’est que cette Dame Bleue, engoncée dans son machin, est bien jolie, c’est un crime qu’elle n’en sache rien. La vie est belle bon sang ! Faut profiter ! Et rire aussi.
Dans cette pièce, on rit donc. On rit des énormités de la Dame Grenat, de ses propositions pour le moins intempestives. Cette femme-là ose tout… Mais derrière ce rire, il y a tellement de cœur, tellement de pudeur. Surtout ne pas dire combien l’autre nous touche, sans quoi on basculerait dans le dégoulinant. Le public, lui, n’est jamais dupe. Cette tendresse silencieuse allant de l’une à l’autre, il la ressent aussi. Cueilli le public, tout chose. Un peu handicapé pour finir, un peu « trav » peut-être. Ou alors les deux. Et plus encore…