J’ai écrit Le Chemin des Dames en concentrant dans un huis-clos décisif ce que la décision – ce bras armé de notre liberté – fait peser sur nos existences. Pesanteur tragique de l’erreur de décision qui est d’ailleurs à l’origine du théâtre avec Œdipe. Je ne peux évoquer sans émotion ces millions de soldats de la Grande Guerre qui ont payé de leur sang les erreurs des généraux et des politiques. Cette émotion diffuse tout au long de la pièce, il me semble, et en relève l’amertume. Dans la décision se joue le destin de chaque personne mais aussi celui des armées et des nations sans que le discernement ne sorte très souvent l’histoire de son tragique et ordinaire chaos. La décision requiert courage et intelligence comme chacun sait. Le Chemin des Dames met en scène ce courage et cette intelligence à travers des personnages forts qui s’affrontent avec force. Mais ce conseil de guerre – ce comité de direction de la France – visualise une autre tragédie de l’histoire qui veut que le courage sans intelligence fasse la gloire du monde. Comme il s’agit de regarder une situation avec différentes lunettes, j’ai utilisé les contrepoints qu’offrent les techniques du théâtre pour illustrer ces mondes qui s’entrechoquent : personnages monolithiques ou ambigus, coq-à-l’âne, fuite dans l’humour et même surprise dans ce cheminement vers un dénouement connu. Du théâtre à l’état chimiquement pur enchâssé dans l’histoire à l’état tragiquement vrai. Bruno Jarrosson